[Arrive de Ici - Le Kaig de Fidia]

Mon claquement de doigt résonnant dans l'immensité, je laissais les rayons du soleil couchant se noyer dans mes yeux qui ne quittaient pas l'horizon. J'appréciais tranquillement le moment, un très court instant, histoire de pouvoir me revigorer mentalement. Plantant mes pieds nus dans l'épaisseur nuageuse, je ressentais chaque particule de ceux-ci glisser entre mes doigts, remontant le long de mes jambes jusqu'au genoux. Ma tenue était bien plus légère que dans mon stade éveillé. Je n'étais que vêtue d'un pantalon court s'arrêtant à mes genoux et d'une chemise blanche débraillée. Néanmoins, je ne me détachais jamais de mon nœud vert au cou. Ce dernier m'ayant été offert par Dummy lorsque j'avais découverts que j'étais enceinte. Malgré les événements qui avaient suivis, j'avais catégoriquement refusé de m'en défaire. Quoi qu'il  puisse m’advenir. Et évidemment, mon masque n'était plus là... Ce n'était que le seul lieu où je m'autorisais à voir puisque rien n'était réel ici, ce n'étaient qu'un amas de pensées et fantasmes de mon inconscient. Laissant mentalement mes yeux d'un brun orangé scruter le paysage et se sentir revivre, l'espace d'un court instant. L'espace d'un songe.

Le vent balayant avec douceur le décors, de manière très irréel, m'enveloppait pour m'enfermer davantage dans ce cocon protecteur dans lequel je m'enfonçais lentement. Le visage face au ciel, les bras levés de chaque côté de mon corps, je me laissais baigner dans cette ivresse des sens. Tant d'odeur douces et sucrées. Tant de caresses venteuses délicates et brumeuses. La chaleur du soleil m'envahissait entièrement. L'air glaciale du couloir lugubre de ce sous-sol avait disparu. Désormais, seul le vent s’enfilant sous ma chemise, entre chacun de mes cheveux, caressant mes joues, me procurait une telle sensation de liberté. Bien évidemment, j'étais bien consciente que ce ressentis serait bien plus intense quand je vivrai cela pour de vrai. Plus déterminée que jamais à remonter à la surface et développer mon don. Espérant dès lors parvenir à faire fusionner ma réalité à celle dans laquelle j'étais forcée de vivre.

Quelques secondes encore s'écoulèrent jusqu'à que je ressentes que tout mon être s'était restauré de cette réalité glaciale et angoissante qui m'avait complètement échappée. Comme d'habitude. Comme n'importe quoi où je pensais avoir le contrôle... mais ma constellation était un peu contraire à cette idée. Généralement, quand je pensais m'être extirpée d'une situation, je me prenais les pieds dans les fils du destin, systématiquement, et me rétamait de toute ma longueur dans le caniveau du coin. Aussi profond soit-il, j'avais toujours réussi à plus ou moins m'en sortir. Que ce soit seule ou avec l'aide de Dummy. J'étais bien heureuse de posséder un tel pouvoir aussi... il m'avait permis de m'évader complètement dans cet autre espace et pouvoir gagner plus de temps que si j'étais restée planter dans les fils de la réalité. C'était pour ça que je devais parvenir à le faire grandir, à monter les paliers. Mais ne connaissant absolument personne d'autre possédant ce pouvoir, il m'était compliqué d'apprendre concrètement et à un rythme convenable. Actuellement, tout ne se passait que par des instants d'instincts parce qu'une situation l'exigeait, comme maintenant ou, alors, parce que j'avais eu un éclair de génie quelconque. Cela me frustrait de ne pas pouvoir expérimenter mieux et plus...

Mais trêve de rêvasseries et lamentations... ! J'avais une mourante à sauver ! Quant bien même le temps s'écoulait autrement ici, ce n'était pas une raison de la faire attendre plus. Claquant alors à nouveau des doigts, le décors paradisiaque que m'offraient ces nuages disparut aussitôt et je me retrouvais alors au sommet d'une énorme montagne enneigée. Ou du moins, quelque chose qui ressemblait à de la neige... En contrebas, une immense étendue de néant étoilée avec en son centre ma constellation. Cette très chère constellation si redoutée mais que je chérissais tant tout de même. Je ne comprenais pas pourquoi elle était si détestée. Pourtant, elle veillait bien sur moi ! Bah quoi ? Elle me faisait me casser la figure, me donnant l'air de me tuer, mais j'esquivais alors une autre situation plus grave qui me passait au-dessus du crâne. Ou encore, quand je fus bazardée d'un coup de griffe d'un démon du Prugarass dans une faille qui, heureusement qu'elle était là, m'empêchait d'être soudainement prise dans une explosion d'une technologie naine. Non vraiment... j'étais convaincue que les gens se faisaient une terrible et fausse idée de cette aura qui émanait de cette constellation.

Le regard planté dans le néant, je songeais à ce que je pourrai alors faire pour tenter de sauver Pheare... Le vent faisant fouettant mes cheveux sur mon visage, je tendis la main vers les étoiles pour les rapprocher de moi tout en les faisant rétrécir en petite balle afin de les faire voleter au-dessus de ma paume, les doigts jouant avec ces petites lumières.

- Pheare. Isoler. Atmosphère Neutre. Me répétai-je en boucle.

J'avais en premier lieu penser à une solution magique, une sorte d'objet que j'aurai collé contre la poitrine de l'humaine afin de lui créer son propre espace, ce dernier s'accommodant alors à elle, éliminant tout ce qui pourrait lui être néfaste. Mais d'abords... je devais comprendre pourquoi elle se sentait ainsi. Elle ne s'était visiblement pas prise de coup particulier depuis notre escapade des prisons.

- L'explosion de Fifi ne l'a pas touchée. Seul le coup de croc de Mina semble l'affecter. Mais j'ai souvenirs qu'elle est théoriquement censée se régénérer d'elle-même, d'après Ydris. Mais que la magie de soin a des effets «néfastes » sur elle. Est-ce que mon idée la fera exploser? Je claquais alors la langue contre mon palais, contrariée. D'habitude, je ne calais pas trop sur des idées mais la pression ne m'aidait pas. Malgré ce décors irréel, cette montagne semblant flotter dans le néant le plus absolu, j'étais encore plus perdue dans ma tête.

Toutes les idées qui m'effleuraient l'esprit avait la seule composante qui posait problème pour Pheare : La magie. Mais serait-elle aussi dangereuse si cela était appliqué sous forme de médicament ? Ou alors, devais-je lui créer une fausse peau qui se grefferait à ses plaies et lui permettrait déjà d'arrêter de perdre du sang ?

- Raaaah ! Pourquoi tu ne m'as rien expliqué non plus, la chauves-souris ! Bien que chauves en devenir t'irait à merveille... Aidez-moi enfin. Mon esprit allait à toute allure et le néant autour de moi semblait alors chauffer, des nébuleuses naissantes rougeoyantes parcourues d'éclairs semblaient émettre des grondements. Ce n'était que la manifestation de mes émotions, rien de bien nocif. Je préférai qu'elles soient belles plutôt qu'un tas de bouillie informe. Aller Shaileen, réfléchis. Réfléchis. Réfléchis... Y a forcément un truc qui t'échappe dans tout ça. Forcément ! Y a un truc qui T'ECHAPPE!

Les étoiles miniaturisées tournoyants autour de moi, je m'accroupissais au bord de la montagne, le regard fixé sur ma constellation qui avait la forme d'une sorte d’échafaud avec un paquet de six étoiles pendant à l'extrémité. Me mordillant le bout de mon pouce

- Trouve une idée. Trouve une idée. Tu en es capable. Tu es la meilleure. Alors trouves quelque chose. Tu peux trouver UN TRUC! Commençais-je à tenter de me motiver à trouver la solution miracle.

J'avais encore un bon moment devant moi pour trouver un remède ou une quelconque idée mais je ne devais pas non plus perdre l'idée que mon corps était à portée de Mina et que Dummy était, certes débrouillard, mais pas immortel non plus. Laissant mes fesses retomber sur la fausse neige, je m'allongeais, le regard dans une nébuleuse. Malgré que je tenais peut être une solution du bout des doigts, il me manquait trop d'informations. J'aurai dû les demander au lieu de me précipiter mais je n'avais aucunes idées du degré de patience de Mina sur le moment ! Mais j'aurai dû tenter le diable mais rien... J'avais toujours réussi à me sortir de toutes mes galères. Ce n'était pas celui-ci qui allait me poser des problèmes. Alors que même si je cherchais une solution pour sauver Pheare, je réfléchissais en parallèle à une arme pour neutraliser Mina si jamais je devais ressortir les mains vides afin de pouvoir m'enfuir avec mon nain. Mon Dummy qui s'était rattaché aux caprices de Vi, j'avais toujours décidé de me désolidariser des divinités. Mais peut être était-ce une solution viable ? Ils étaient si flous. Si insaisissable. Si arrogant. Si fourbe. Si étrange que même si Loomineï en personne venait me voir, je lui accorderait aucunes confiances. Lui cracherais-je au visage aussi ? Probablement. Car j'avais pas oublié que les dieux nous avaient oubliés, dans ce trou... alors que nos confrères de Lalwendë devaient bien se dorer la pilules là-haut.

Non pas que je ressentais de la haine mais une sorte de jalousie et frustration latente, comme si elles étaient les échos d'une vie passée, transmise de génération en génération. Car les livres que j'avais lu. Les histoires que j'avais entendues des anciens... tous clamaient leur gloire aux divinités. Mais... aucunes ne s'étaient manifestées. Aucunes ne nous avaient aidés... À défaut de cette Vi à l'appel de Dummy. Alors peut être que je m'étais enfoncée des oeillières et ne voyait vraiment plus rien. Peut être qu'elles étaient omniprésentes mais juste d'une discrétion à en faire pâlir n'importe quel espion d'élite... mais je ne voyais rien. Ni ne les ressentais...

Mais revenons-en à Pheare. Cette divagation ne m'aiderait en rien même si mon être profond criait à l'aide. J'avais promis à Mina de revenir avec la solution, ou une aide providentielle, alors j'allais le faire ! Même l'idée la plus saugrenue que j'avais eue, celle de téléporter Pheare dans mon monde oniritique pour la protéger, était étudiée. Même si je m'en savais complètement incapable. Néanmoins, elle avait le mérite d'exister et peut être aboutir à une autre idée.

- Isoler. Atmosphère neutre. Isoler. Atmosphère neutre. Continuais-je en boucle jusqu'à qu'un éclair de génie viendrait percuter mon esprit. Ou une idée du diable, qu'importe ! Mes dix doigts pianotant dans la fausse neige par vagues régulières.

- La neutralité, voilà une simplicité qui jamais ne parvint à faire son lit parmi toutes les berges complexes qui bardent votre personnalité. Confia une voix caverneuse, avec un soupçon de brusquerie. Qui suis-je ? Le doute, la réflexion, ou bien la peur peut-être ? Je ne suis rien de tout cela. Poursuivit l'écho sans permettre à la rêveuse de lui répondre. Libre penseur, philosophe passionné, quand s'extirpa d'une seule une unique décision, l'éternelle étiquette que l'on me connait.

Un grondement retentit dans le néant infini. L'obscurité, auparavant impénétrable, se métamorphosa subrepticement en une toile se plissant, comme si un trou noir la dévorait en son centre. L'attraction s'intensifiant, l'abîme conçu par Shahin claqua à l'instar d'un élastique, se déchirant avec violence ! Désormais, pivotant en sens inverse des aiguilles d'une montre, un immense astéroïde flottait dans le giron d'une galaxie, plus réaliste que n'importe quel songe. Sa masse était si lourde, que la rêveuse put en ressentir l'influence. Intestins, estomac, plus sensibles que les autres organes, furent les premiers à répondre à l'appel de cette nouvelle gravité. Puis la voix éclata derechef, celle-ci émanait vraisemblablement de l'astre...


- Merci ! Merci de me prendre tel que je suis en dépit du fardeau que l'on me prête. La roche cosmique savait ne pas être conviée, aussi décida t-elle de braver ses propres interdits. Trente ans, c'est la longévité naturelle de mes rejetons. Tandis que vous, Shahin, alors que vous couvrez plus du double de cette somme, demeurez toujours parmi les vôtres. Voilà un mystère que je ne m'explique point. Mais pour vous, je veux bien tâcher de faire l'effort. L'astéroïde orbita par deux fois sur lui-même dans le silence profond de l'espace, avant de s'engouffrer au coeur du sujet. De feu Gooshi, je vous guide depuis votre naissance. Jadis Déesse savante et altruiste, tout ce qui reste de moi, rayonne de cette étoile sous l'apparat de l'autolyse. Désormais, je suis Yelcan, la constellation du suicide ! Si les Divinités encore en poste ne se soucient guère de votre sort, nous, les Dieux défunts, veillons sur vous. Bref, si j'ai bravé les frontières du possible pour me faire entendre de vos oreilles ignorantes, c'est avant tout pour vous mettre en garde.

Yelcan n'avait point vue sur Astrune, il ne pouvait donc savoir pourquoi Shahin agissait de telle ou telle manière. Mais il avait connaissance de tous ses faits et gestes, y compris de ses pensées les plus intimes. Bien que ce qu'il s'apprêtait à lui révéler, n'avait aucun rapport avec son environnement physique actuel.

- Grâce à vous, nous pouvons encore profiter d'une fraction de notre existence passée. C'est pourquoi le conflit persiste jusque dans les étoiles. À l'origine, vous aviez été choisie par Uleyra, la constellation de la chance. Mais je me suis servi en premier, et depuis, notre querelle se poursuit en vous. Un grondement sourd que l'on pouvait définir comme un soupir, fit office de pause. J'ai faussé votre Destin pour ne plus avoir à supporter les trépas que je cause ! Je ne devrais plus avoir d'empathie depuis que j'ai cessé d'être, mais à l'évidence, elle a subsisté. Bon... maintenant que vos origines sont clarifiées, permettez moi d'en venir à ce qui me préoccupe. Depuis votre dernier songe, quelque chose s'est immiscée dans notre dimension, j'ignore ce que c'est, mais elle n'est pas là par hasard. Cette étoile noire, comme je la nomme, en vient même à perturber le lien qui vous uni à la Chance et à moi. Alors si à l'occasion vous pouviez approfondir votre voyage onirique afin de pénétrer mon domaine, peut-être pourriez vous voir ce qui m'est indiscernable.

Un arpenteur de rêve pouvait creuser plus loin dans l'irrationnel, voir même toucher du doigt le Divin, s'il s'adonnait au don de Sinah en plein songe, et encore dans le suivant, jusqu'à ce que son esprit soit si fragmenté, que nul filtre ne saurait le retenir. Poussée par le suicide, Shahin pourrait s'y résoudre, mais si la chance venait à manquer son coup, sa mort serait inéluctable. Et on ne parle pas d'une mort telle qu'on la connait, mais plutôt d'une errance perpétuelle dans les méandres psychédéliques des royaumes oubliés.

- Dans le cas où vous ne parveniez à me rejoindre, vous ne me reverrez plus. Je vous abandonne donc à votre besogne, mais gardez bien en tête ce que je viens de vous dire, car le temps vous est compté.

D'abord lentement, puis de plus en plus rapidement, l'astéroïde s'enfonça dans la voie l'actée, ne laissant derrière lui que ténèbres et silence. En dépit de tout ce qu'on venait d'apprendre, une question ressortait toutefois du lot ; pourquoi Shahin ?

Mon attention divagante dans le néant, je me perdais petit à petit dans mes songes. Que pouvais-je bien faire pour l'aider, cette Pheare ? Si j'en comprenais bien sa nature, rien de magique ne pouvait l'affecter et il était en plus hors de question de faire usage de magie curative. Néanmoins, Fidia, de par le biais de Aërlina, avait demandé à ce que je fasse quelque chose impossible de ce monde. Devais-je réellement en extirper un remède ? Mais si oui, lequel et comment, surtout... Tout ce que je pouvais retirer de mon domaine onirique n'était que d'essence magique ! Qu'avait bien pu voir Aërlina pour être convaincue que j'étais capable de faire quelque chose de pareil pour la sauver ? Mais surtout, comment savait-elle que j'aurai sauté à pieds joints et accéder à sa « vision » !

- Non. Non. Non... C'est à cause de Mina que tu es là. Tu l'aimes bien et tu veux l'aider. C'est tout. Tu es juste absolument idiote... Me disais-je à voix basse, soupirant longuement, me prenant le visage dans les mains. Mon souffle décalant alors quelques étoiles dans le ciel, expression de ma perdition momentanée.

Cependant, comme si celles-ci n'avaient pas appréciés mon geste, elles se mirent à me parler. Faisant me redresser en position assise d'un coup, les yeux froncés. Tirant une grimace déconcertée à la recherche de la source de cette voix qui émanait de partout en même temps. Raisonnant dans mon crâne. Pour l'instant, cela n'avait pas de sens, ni de forme, si ce n'était qu’édicter des faits. Non sans une certaine rudesse dans le ton employé, me forçant à me taire pour le moment. Attendant d'avoir la suite du monologue pour tirer un avis sur la question. Mais malheureusement, ce ne fut pas plus clair pour moi. C'était même un poil pire. Elle était maintenant en train de tenter de se définir elle-même, en plus de se décrire. J'en profitais d'ailleurs qu'elle soit en pleine tirade rétrospective pour me relever doucement et me mettre debout, mon regard toujours accroché à la toile cosmique face à moi.

Une soudaine perturbation vint me secouer de toutes parts. Des frissons intenses me parcoururent le corps tout entier. Je sentais ma toile onirique être saisie par quelque chose à l'extérieur. Mais je gardais mon calme sans en perdre une seule miette du spectacle qui se déployait sous mes yeux. Tout l'univers que je m'étais créée pour m'échapper se tordait, à l'instar d'un vortex, seul et unique manifestation qui trahissait la présence d'un trou noir au sein de cette noirceur. Toutes les étoiles environnantes et derrière se déplaçaient pour rejoindre un point central. Lentement, intensément. Mon domaine onirique entier se mit à vibrer. La montagne sous mes pieds s'était disloquée en nuée de papillon et flocon de neige. Signe que malgré mon calme extérieur, mon inconscient était en panique complète : « Aaaaaaaaaaah ! À l'aide ! Que se passe t'il ?! » me hurlait-il à l'esprit. Jamais mes rêves étaient partis à ce point en roue libre ! Ma malchance avait-elle fait en sorte que je croise la route d'une entité capable de prendre le dessus sur mes pouvoirs ? Visiblement, oui. Car dans un énorme claquement qui m'aurait affublés des acouphènes aux oreilles pour le restant de mes jours, un énorme caillou flottait dans le vide face à moi. Mon corps entier était irrésistiblement attiré par ce dernier tant son attraction était forte.

Oh bien sûr, je tentais à plusieurs reprises de reprendre le dessus mais lorsque la voix revint à mon esprit, j'abandonnais toutes mes actions. Relâchant subitement absolument tout ce que je préparais à lui envoyer à la figure pour l'éjecter de mon domaine. La raison ? Je reconnu sans aucuns doutes que je m'adressais directement à ma constellation évidemment ! Elle venait de le dire d'elle-même ! Mon corps attiré encore et toujours, je flottais autour d'elle, l'observant faire ses propres rotations. Écoutant attentivement ce qu'elle avait à me dire.

Évidemment, j'avais déjà eu connaissance que les Oubliés nés sous cette constellation mourraient jeunes dans des accidents malheureux, stupides ou vraiment tragiques. Donc il était normal que certains Oubliés s'intéressaient à mon cas. Une des nombreuses pour lesquelles je m'étais enfermés dans mon monde onirique. Donnant de ce fait une raison valable de faire passer mon état passif pour un coma, forçant quiconque voulant m'approcher de se tenir à l'écart. Je refusais, pour quelques raisons que ce soit, devenir un sujet d'expérience parce que j'avais le double de vie des autres habituellement mort plus tôt ! Il fallait faire plus attention, c'est tout. Je n'y pouvais rien si j'avais pris mon destin à contre-pieds en décidant d'aimer cette constellation et de la chérir, au lieu d'en être terrifiée et déprimée !

Mais plus elle avançait dans son monologue, plus il y avait des détails qui m'intriguaient. Déjà, elle se présentait sous le nom de Yelcan. J'étais ravie de pouvoir coller un nom sur.... une pierre ? Mais c'était déjà une bonne chose ! Ça me rapprochait d'elle ! En plus de cela, elle voulait me mettre en garde contre un danger, après avoir bravé des frontières dont j'ignorais l'importance même. Mon attention toute braquée sur chacun des mots qui allaient m'atteindre, mon cerveau tilta soudainement sur un détail qui ne m'avait pas choqué aux premiers abords tant la prononciation pouvait être très proche. Pourquoi m'avait-elle nommée Shahin ? Alors soit Yelcan était aussi sous le joug de sa propre influence de constellation à s'introduire dans les rêves de tout le monde comme ça, soit elle s'était vraiment trompée de personne. De mémoire, je n'avais jamais entendu ce nom être prononcé, le plus proche ayant été le miens... Mais bon, pour l'instant, le plus important était de me focaliser sur ces prochaines paroles.

Le caillou géant m'annonçait alors qu'un conflit avait eu lieu, qu'il était toujours d'actualité et qu'il atteignait les étoiles mêmes. Devais-je donc considérer que cet état de fait n'était lié qu'au simple fait que nous, Oubliés, vénérions les étoiles ? Que grâce, ou à cause de nous, nous avions étendu la toile divine jusque dans le néant infini ? Si c'était vrai, ça expliquerait probablement beaucoup de chose, dont cette vision mystérieusement évoquée par Fidia. Notre « Reine » avait véritablement vu quelque chose à ce moment là. Elle avait vu cette interaction. Étais-je donc la seule à avoir pu converser avec ma propre constellation ?

Cependant, Yelcan me fournit la raison pour laquelle mon existence avait pu passer du simple au double comparé à mes confrères nés sous les mêmes auspices que moi. Je n'étais donc pas sous l'influence que d'une constellation, mais de deux ! Mes sourcils se froncèrent, je peinais à considérer cette information. En premier lieu, je me disais que c'était tout bonnement impossible ! Mais une fraction de seconde ensuite, je me souvins que j'étais investie d'un pouvoir que je n'avais jamais vu ailleurs qu'en moi-même. Donc non, c'était possible ! J'étais l'heureuse âme sur laquelle veillaient la constellation du Suicide et de la Chance en même temps ! Yelcan et Uleyra. Mais étais-je seulement la seule à être dans ce cas là ? Y avait-il d'autres Oubliés actuellement qui étaient sous deux jougs à la fois ? Dans un sens, oui, je voulais que ce soit le cas, afin de pouvoir relativiser et pouvoir trouver des réponses. Mais dans l'autre, majoritaire, je souhaitais être la seule à posséder ce privilège. Non pas par égoïsme mais plus par envie d'être unique, de savoir que celle-ci était ma place au lieu de rester dans une sorte d'errance aux seins des Oubliés.

Je prenais sur moi pour ne laisser aucunes expressions paraître mais je me trahissais toute seule. Car si elle était là, présente dans mon rêve, Yelcan lisait mes pensées et mes émotions. Donc je cessais de paraître plus idiote que je ne l'étais et me laissais envahir par la surprise, laissant mon corps se rapprocher davantage de l'entité au centre de mon domaine. Écoutant chacun de ses mots assidûment.

Faisant donc mention de ma dernière escapade onirique, Yelcan m'avertit donc qu'un danger, une étoile noire, s'était visiblement introduite à un endroit où elle n'était pas censée être. Mettant donc en périls ma connexion avec Yelcan et Uleyra. Mais aussi, indirectement, j'en déduisis que cela affectait aussi tout les autres Oubliés. Sauf qu'eux, au-delà de la Reine sûrement, ignoraient ce qui se tramaient. Bien que j'aurai voulu en savoir plus sur cette supposée étoile noire, Yelcan ne m'en laissait pas le temps. J'étais comme « tétanisée », mais aucune sensation de peur. Je pensais. Je cogitais. J'écoutais. Mais je ne pouvais parler. Néanmoins, je ne pouvais pas dire qu'elle me laissait volontairement dans le flou puisqu’elle m'avait confié tout ce qu'elle savait. Elle-même ne semblait pas savoir ce qu'était réellement ce danger puisque cela était désormais mon rôle de le découvrir. Pour autant que je parvienne à atteindre son domaine, comme elle le disait.

Je luttais de toutes mes forces pour parvenir à dire quelque chose mais rien n'y fit. Le caillou géant finit alors par disparaître, me laissant retourner à mes affaires. Reprenant alors totalement le contrôle sur mon domaine onirique, le calme redevenant la norme. Néanmoins, le décors du néant éternel céda la place à une étendue d'eau infinie où aucunes ondes ne venaient perturber sa surface. Le tout dominé d'un ciel bleu clair dénué de tout nuage et d'un soleil à son apogée, supprimant toutes les ombres possible. Mes pieds touchant la surface aqueuse, je soupirai longuement. Assimilant cette quantité d'informations que m'avait donné Yelcan. Aussi ironique que cela pouvait le paraître, j'avais beaucoup de difficulté à me dire que c'était réel. Ce fut si... intense. Si... improbable qu'il me faudrait un petit instant pour me remettre les idées en place. Mais déjà... je repensais à ce qu'elle m'avait confié sur la manière de la rejoindre : Approfondir mon voyage onirique.

- Mais oui... Me murmurai-je en me tapant dans les mains. Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ! Évidemment, espèce de cruche!

Claquant des doigts, le décors se mua instantanément en une salle remplie d'outils divers et variés. Typiquement le genre de pièce où l'on pouvait trouver n'importe quel genre de savant fou. D'un mouvement net et gracieux de la main droite, l'index pointant le sol, remontant au plafond, je fis apparaître un clone d'un célèbre inventeur de la surface, originaire de Lalwendë, spécialisé dans les inventions loufoques et médicales afin de m'aider dans ma tâche. Il se tenait face à moi, avec sa longue chevelure noiraude et ses yeux gris, sa peau calcinée à quelques endroits sur le visage ainsi que sa tenu raffinée, trop élégante pour le travail qu'il faisait. Mais il devait bien s'y sentir. Je parvins à le recréer grâce au dessin et histoire que j'avais pu lire de lui dans les livres qu'il avait laissé derrière lui à la Seldarine. Mais pour le moment, il n'était qu'une coquille vide. Je lui balançais alors toutes les informations que j'avais de Pheare ainsi que la totalité des souvenirs que j'avais pu voir d'elle et ce qu'elle avait fait. Lui intimant gentiment l'ordre de ne se focaliser que sur la recherche d'un moyens non-magique de la sauver. J'y mettais un peu d'espoir dans cette idée mais je savais déjà que ce n'était pas la peine de compter sur le fait que ce soit ma magie qui la soigne directement. Il faudrait alors qu'il trouve quelque chose qui puisse agir sur l'humaine par réaction, que ce ne soit pas ma magie qui l'impacte mais une conséquence. Une fois toutes les instructions confiées, je le laissais à sa tâche pour me rendre dans une nouvelle pièce que j'isolais de l'extérieur.

- Bon... C'est partit. On va essayer... Me murmurai-je pour me motiver en me laissant flotter dans la petite pièce et m'allonger sur le vide, fermant les yeux en inspirant longuement. Plusieurs fois. Jusqu'à me sentir partir à nouveau. Je rouvris alors les yeux...

Des sons aigus me parvinrent aux oreilles et j'observais le ciel au-dessus de moi complètement recouverts de feuilles à l’allure cristallines. Reposant pieds à terre, je pouvais constater que j'étais dans une forêt bien étrange. Le sol craquait harmonieusement et les arbres n'étaient que d'immenses roches pointues pourvues de branches avec des feuilles qui dégageaient une sorte de poussière, faisant office de pollen. Je compris dès lors, par ce changement de décors déconcertant, que j'avais créer un nouveau plan dans mon propre rêve !

- Ca a marché...? Si c'est le cas... c'est... je ne sais pas. Me questionnais-je en observant les alentours et touchant les feuilles de cristal du bout des doigts. Je me demande bien pourquoi je n'avais jamais tenté ça avant... J'espère que le temps est encore ralentis. M'en faut un maximum !

Dubitative mais tout de même excitée par cette découverte, je n'attendis pas que le temps s'écoule davantage et je refis la même manœuvre que précédemment. Je claquais des doigts. La salle d'inventions avec tous les outils mais cette fois-ci j'y créait un clone d'un grand inventeur nain. Il apparut face à moi, je lui instaurais les mêmes souvenirs et instructions dans la mémoire et le lançait sur son unique quête avant de repartir à nouveau. Me retrouvant à l'extérieur au milieu de ces cristaux géants. Je n'avais guère aucunes idées de ce que cela impliquerait de m'enfoncer davantage dans mes songes mais je déduisis logiquement que, si le premier plan le temps s'écoulait différemment que la réalité elle-même, chaque plan verrait son temps altérer et je pourrai alors vivre quasiment une journée entière alors que je ne dormirais que vingt minutes à la surface... Si c'était ça, la simple idée de le réaliser m'en donnait le vertige. Mais c'était aussi follement excitant de poser pieds dans toujours plus loin encore. J'espérais alors pouvoir atteindre Yelcan et accomplir sa demande... Mais comment allais-je me rendre compte si j'étais arrivée à destination ? Ou pire encore... que je m'étais perdue ? Le simple fait de penser fort à ma destination m'aiderait-il à la rejoindre ? Tout cela était bien nouveau pour moi. Je n'avais jamais réalisé que je pouvais faire une telle chose vu que la fatigue n'existait pas dans mes rêves, donc je n'avais jamais songé à "dormir" à l'intérieur de ceux-ci...

Inspirant à nouveau, emplissant mes poumons. Expirant bruyamment, le sol sous mes pieds se défilait, se défaisant comme de la vapeur. Je me retrouvais à nouveau à l'horizontal pour retenter la même manœuvre. La sensation de chute intérieure était encore plus forte et je me sentais à nouveau partir. Je fis alors accueillie par un grondement sourd. Comme si un liquide chaud et lourd s'écoulait le long d'une paroi et quelle fut pas ma surprise de voir un décors volcanique face à moi. Observant les alentours, je créais des tornades de lave et changeais le ciel pour qu'il se mette d'un coup à neiger. Tout ceci afin de m'assurer que j'avais encore bien le contrôle dans ce troisième plan onirique. Je me sentais vraiment étrange, comme si... comme si... Comme quoi ? Je ne saurai le dire. C'était déconcertant. Mais quelque chose se passait et, malgré ce qu'il se déroulait dans la réalité, je savais que je devais continuer sur cette voie ! J'avais beau détester Aërlina pour l'enfant qu'elle m'avait retiré mais je ne pouvais pas émettre de doute sur sa vision, surtout si elle avait pris le soin de la confier à Fidia qui l'avait enregistré dans un message. Quoi qu'elle ait vu, tout devait se dérouler ainsi !

Alors... une dernière fois, je claquais des doigts. La salle des inventions folles. Un inventeur Haut-Elfes et lui plomber la tête avec mes instructions et souvenirs et... une nouvelle sieste. Je déglutis alors lentement. Pensant le plus fort possible à Yelcan et à sa recommandation de la suivre.

- Je promets de tout t'expliquer Dummy. Je promets de sauver ton amie Mina. Mais cela se passera autrement que prévu, j'ai l'impression... Fis-je désolée mais déterminée à continuer, poussée par l'élan de courage que me confiais ma constellation. Il fallait que je réussisse ! Aller Shaileen... tu peux le faire. Fermant doucement les yeux, m'allongeant  au-dessus de ce paysage magmatique et de la neige me tombant sur le visage, je sentis tout le domaine disparaître à nouveau et mon esprit, une nouvelle fois, sombra dans un nouveau sommeil. Lorsque je sentis que j'étais arrivée à destination, j'inspirais longuement une dernière fois. Seul mon cœur se faisait entendre et j'ouvris lentement les paupières. Avais-je réussis ? Yelcan?